La pureté de la Clarée
- angelinagours20
- 1 nov. 2024
- 5 min de lecture
Dernière mise à jour : 15 janv.
La première fois que nous avions pénétré dans la vallée de la Clarée, nous n’en avions jamais entendu parlé, c’était quelques années avant la mise en place des navettes estivales, à l’époque où les touristes n’avaient pas encore pris le lieu d’assaut.
De passage à Briançon, nous prîmes la direction de Névache sur un malentendu, principalement pour assouvir notre curiosité : n’associant aucune image à ce nom que nous connaissions de longue date, du temps où nous vivions entre Marseille et Aix-en-Provence, nous voulions mettre un paysage sur un village. En effet, pour nous résonnait uniquement le semi-marathon Névache-Briançon, course mythique originellement organisé par des militaires du 159ème régiment d'infanterie alpine, et isolée – donc visible – dans le calendrier des courses sur route en PACA, plutôt famélique au mois d’août.
À mesure que nous remontions la route départementale D994G qui s’infiltre dans ces lieux préservés, se développait le sentiment de vivre une escapade inoubliable sans soupçonner qu’elle serait surtout interminable ! Arrivés à Névache, nous pensions être arrivés en fond de vallée...
Ce jour là, nous n’allions pas plus loin, rebroussant chemin pour emprunter le col de l’Echelle et découvrir un autre plateau où le temps est suspendu, lieu de pique-nique convoité. Cette pause me rappelait les vacances estivales de mon enfance et leurs pauses casse-croûtes. Ce n’est que plus tard que je compris qu’ici, rien n’avait vraiment changé depuis les années 70. Grâce aux habitants ayant toujours résisté à la promesse de revenus plus confortables qu’une station de ski aurait pu leur procurer, ce site naturel est resté intact rappelant les sensations des espaces naturels que nous fréquentions jadis.
La vallée, nous l’avons donc découvert en trois temps, la découpant sans le savoir en trois tronçons :
Val-des-Prés > Névache avec une incartade par le col de l’Echelle,
Névache > Roche Noire après les premières neiges,
Refuge Laval > Lac Rond dans la douceur de l'automne.
La première section découverte en été nous avait rassasié pour la journée, nul besoin d’explorer davantage tant nous avions déjà sous les yeux un joyau à contempler. Le souvenir de cette découverte est resté bien présent, faisant parti de ces lieux qui vous marquent et auxquels vous repensez régulièrement avec bonheur, gravant des images ressourçantes très utile quand le quotidien de nos vies modernes s’avère difficilement supportable et manque cruellement de sens.
Quelques années s’écoulèrent avant que nous ne revînmes à Névache, en automne. Cette année-là, les premières neiges avaient fait leur apparition tôt dans la saison. Profitant de la seule journée ensoleillée de notre séjour lors du pont de La Toussaint, nous laissions la voiture sur le parking de Névache, la chaussée n’ayant pas été dégagée au-delà. Nous décidions d’emprunter la route à pied pensant partir pour une courte balade. Nous longions la rivière profitant du plaisir incomparable que procure les pas dans la neige fraîche. A chaque méandre, nous étions persuadés d’arriver au bout du chemin. Et à chaque fois, nous découvrions avec bonheur que quelques hectomètres supplémentaires s’offraient à nous avec l’impression que le paysage était à chaque fois encore plus beau. Partis comme de vrais touristes n’ayant pris aucun renseignement sur leur lieu de visite, nous dûmes rebrousser chemin après 7 ou 8 km de marche : en jeans, baskets de ville et sans vivres, nous sentions l’hypoglycémie poindre le bout de son nez ! Heureusement, l’eau pur ne manque pas en Clarée, nous avions au moins pu nous désaltérer.
Éblouie par cette nature sauvage où l’empreinte de l’homme s’efface (à plus forte raison avec les paysages enneigés) et consciente du privilège qu’il m’est donné en sachant apprécier de tels moments, je me souviens avoir prononcé ces mots :
“Après une journée comme celle-ci, je pourrais mourir demain.”
Ce sentiment viscéral d’un accomplissement ultime s’étaient emparé de moi ce jour-là au point de penser sérieusement qu’après de telles émotions, je n’aurais pas eu de regrets si ma vie avait dû s’arrêter à cet instant. Ce genre de sentiment est souvent exprimé par des personnes vivant des épisodes extra-ordinaires qui décuplent les émotions : aventuriers, sportifs de haut niveau, artistes, etc. Ce qui est unique en Clarée, c’est que ces sentiments s’offrent à qui est prêt à les recevoir, nul besoin de partir en expédition, quelques pas dans la vallée suffisent.
C’est aussi à l’issue de cette journée que nous avons scellé la décision, que nous mûrissions sans le savoir depuis quelques années et qui nous apparaissait alors comme une évidence, de s’installer dans les Hautes-Alpes.
Nous sommes revenus à Névache à quelques reprises après cette journée mais ce n’est qu’un an plus tard, quasiment jour pour jour, que nous continuions notre exploration de la haute vallée. Les conditions étaient beaucoup plus estivales en ce début novembre mais la pureté de la rivière demeurait intacte. Depuis le parking du refuge Laval, nous avons longé la Clarée par le sentier escarpé situé sur sa rive droite pour la redescendre ensuite par la piste qui longe sa rive gauche. Au refuge des Drayères, nous pensions avoir atteint le fond de la vallée, mais nous fûmes encore une fois surpris de constater que nous pouvions continuer notre progression sur le sentier qui longe la rivière. Cette vallée qui semble s’étirer à l’infini est si paisible que la tentation d’aller explorer toujours plus loin et toujours plus haut s’estompe. Lovés au creux du vallon, bercés par le doux ruissellement de l’eau, vous n’aspirez qu’à arrêter le temps en profitant à l’infini de ce bien-être : sans doute est-ce cela le bonheur ?
Nous reviendrons avec plaisir en Clarée, avec probablement l’ambition de prendre de la hauteur en direction des paysages plus minéraux et des crêtes acérées des Cerces ou du Mont Thabor, à moins que nous ne soyons aimantés par l’atmosphère féérique du fond de vallée.

Il y a quelques années, je suis tombée par hasard sur un épisode de la série télévisée Alex Hugo. J’ai immédiatement été captivée par la beauté des paysages. J’ai continué à regardé les épisodes au fil des diffusions, non pas pour le scénario qui, il faut bien l’avouer, est rarement crédible, mais bien pour les scènes tournées en extérieur au cours desquelles je rêvais de cette vie dans ces grands espaces offrant une telle sensation de liberté. Ce n’est que récemment que j’ai découvert que ces décors grandioses sont pour la plupart situés dans les Hautes-Alpes, notamment dans la vallée de la Clarée.
Depuis, le rêve est devenu réalité, même si à l’image d’Epinal du chalet isolé, nous avons préféré le principe de réalité en choisissant le compromis d’un quotidien plus confortable, moins rude au coeur de l’hiver, aux portes de ces espaces sauvages.
Je vous conseille de découvrir l'épisode "Vallée de la Clarée : sur les traces d’Alex Hugo" de l'émission Chroniques d'en haut.
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